Wow ! Revoir la mer après tout ce temps, le soleil, le sable fin, le bruit des vagues ... C'était magique. Evidemment, je n'étais pas vraiment sortie. Le cauchemar n'était pas fini. Et il ne le serait probablement jamais. Ceci n'était ... qu'un songe. Une idylle irréalisable. Une apparition temporaire, un fragile paysage que m'offrait ce bref passage dans un portail. En attendant, je comptais bien profiter à fond de ces cinquante minutes que je m'accordais. Effectivement, je me laissais une petite marge au cas ou. J'observai l'océan durant de longues minutes, assise en tailleur sur le sable dans un maillot de bain deux pièces, rayé de blanc et de rouge, qui était apparu lorsque j'étais entrée. J'aurais du être heureuse, et pourtant, quelque chose me gênait. Je me renversai en arrière et, décroisant les jambes, m'allongeai sur le dos. Le soleil tapait fort, et je dus fermer les yeux afin d'éviter les puissants rayons de l'astre. Je sentais ma peau se réchauffer peu à peu, tandis que j'étais plongée dans mes pensées. Si je restais ici, que se passerait-il ? Resterais-je enfermée ? Ce n'était pas vraiment plus mal ... A vrai dire, même sans nourriture et eau, je préférais rester ici. Sincèrement, entre une mort douloureuse, à force de blessure et de fatigue, dans un parc où le soleil n'apparaît que derrière les nuages, où il fait tout le nuit; ou une mort simple et tranquille, sur le sable d'une plage douce, près de la mer, avec pour dernière mélodie le bruit des vagues, que choisiriez vous ? La réponse est évidente. Et si je passais quelques jours ici ? Le temps de mourir. Je n'en savais rien. Mais j'en avais marre de réfléchir. Mon coeur me dirait quoi faire. Agacée, je me relevai, ouvrait les yeux, et secoua la tête dans tous les sens pour me réveiller un peu. Une grande caverne s'était creusée dans la roche non loin, et son plafond formait le sol d'une grande colline. Je décidai d'y monter et parcourus doucement, à pas lents, les quelques centaines de mètres jusqu'au sommet.

Le sommet se situait à vue de nez à dix mètres de la surface de l'eau. A tout moment je pouvais tomber. Mais il n'y avait que moi. Pour une fois.

La vision qui s'offrait à moi était sans doute la plus belle que j'eus pu voir depuis mon arrivée à Survival Wonderland. Le soleil couchant teintait l'eau d'un rouge orangé d'une intensité fabuleuse. Il brillait moins fort que tout à l'heure et me réchauffait doucement, sans pour autant me brûler. L'herbe de la colline ondulait doucement sous l'effet de la très légère brise, et le ciel auparavant bleu était devenu de la même couleur que l'eau. La frontière entre mer et ciel était très floue, et la seule chose véritable que je voyais, c'était mes habits roulés en boule sur la plage. Une larme coula de mon œil gauche, une larme de joie. Durant ces derniers mois, j'avais appris à décoder les intentions et les sentiments des gens, pas entièrement, mais suffisamment pour m'enfuir ou leur faire confiance. Le plus souvent, je leur tirai une flèche en plein cœur, ou une balle dans la tête. J'avais aussi appris, à mes dépens, que le poisson qui nageait dans le lac central n'était pas mangeable et qu'il donnait de fortes nausées. J'avais également perdu une partie de moi. Mon hésitation à tuer avait encore diminué. Bientôt, je ne m'attacherais sans doute à plus personne. Et si un jour je rentrais chez moi ... la réadaptation serait extrêmement difficile. Peut être impossible. A cette pensée, une autre larme coula de ma joue droite. Une larme de peine. Je mordis ma lèvre inférieur, et les larmes qui se préparaient à couler disparurent doucement. Il fallait être forte. J'essuyai mes larmes avec mon poignet, reniflai un coup, puis descendis me rhabiller. Il fallait que je vienne ici plus souvent.

A peine sortie du portail, je sentis que quelque chose n'allait pas. D'habitude, le silence régnait à SW, mis de côté les quelques hurlements de prisonniers en agonie. Actuellement, tout était trop ... calme. Je décidai d'aller voir au cimetière si quelque chose clochait, et au passage, rendre visite à Monsieur Chien. Oui, c'est un nom stupide, mais c'est plus simple à retenir et le premier qui me soit passé par la tête. Monsieur Chien, c'est le gros canidé qui rôde autour du cimetière et attaque n'importe quelle personne qui y passe. En clair, seuls les forts ou les rapides pour fuir survivent. Jusqu'ici, personne n'avait survécu je crois. En effet, le cabot était un énorme croisé berger allemand-loup, pourvu d'immenses crocs, de griffes acérées de la taille de celles d'un grizzli et avait la force de trois hommes. Mais il était de constitution étrange, puisqu'il était tout rafistolé de partout, des coutures sur tout le corps ! De ce fait, sa seule tactique était de foncer sur les intrus et de les lacérer avant qu'ils le tuent. C'était tout ou rien. Et moi, je l'avais apprivoisé. Un de mes seuls exploits ici ! En vérité, j'avais tapé par hasard dans le corps d'un humain mort qui traînait par terre lorsque je fuyais Monsieur Chien, et ce dernier avait cru que je lui offrais. Depuis, il jappais d'une voix rauque dès qu'il me voyait et me protégeais des zombies. Un adorable toutou. Surement un animal venu avec son maître et recueilli par le directeur pour en faire une arme. Quelle enflure ce type.

Lorsque j'arrivai au cimetière, j'entendis plusieurs hurlements. Je me cachai derrière une paroi rocheuse, surement celle d'une petite caverne, et aperçus du coin de l’œil un jeune homme, plutôt beau gosse, qui semblait ... parler tout seul. Et merde, encore un taré. J'espérais tomber sur un gars de mon âge avec encore toute sa tête mais ça semblait, encore une fois, raté. Je fis une grimace de frustration, puis continuai mon observation. A présent, le jeune fou furieux défonçait des tombes. Quel malade. C'est-y-pas malheureux. Soudain, j'eus la peur de ma vie. Une brandille avait craqué sous mon pied. Le pire piège au monde, et ça devait forcément tomber sur moi ... Aussitôt, il se mit à beugler en se tournant dans tous les sens, visiblement bien énervé ! "Montre toi, blablabla ! ". Je n'écoutai pas tout, trop occupée à me tapir dans l'ombre sans faire le moindre bruit. Au bout d'un moment, attiré par les hurlements, Monsieur Chien apparut. Un sourire vint se placer sur mon visage, et j'étais déjà toute contente de savoir que bientôt, ce malade mental serait effondré par terre, inerte, ma vie sauvée. Cependant, cela ne se passa pas comme prévu.

Un jappement, un bruit de lame, un hurlement, et tout était fini. La tête de mon protecteur gisait à terre, non loin de son corps. Le sang s'écoulait doucement des deux morceaux. Ma bouche s'ouvrit, ma respiration se faisait de plus en plus rapide, et mes yeux voyaient flous. En un instant, mon souffle se fit de plus en plus bruyant, et je me mis à pleurer violemment, mon corps animé de spasmes, ne cessant de hoqueter. Je plaçai mes deux mains sur ma bouche, et pleurai ainsi longuement. Sans me retourner, au bruit et au dernier gémissement de Monsieur Chien, je devinai qu'il lui arrachai des dents. Trois, au nombre de couinements. Ceci ne fit qu'augmenter la violence des coquettement que je tentai de réprimer. Comment pouvait-il tuer aussi simplement et maltraiter le corps d'un mort avec autant de nonchalance ?! Je ne pouvais le supporter ...

« Ça me va bien je trouve ! Je vais juste devoir enlever le sang ... »

Il nettoya son "collier" monstrueux avec un peu d'eau, puis s'étala par terre, appuyé contre une tombe. C'était décidé, je le tuerai. Je vengerai Monsieur Chien. Personne ... personne ne méritait une pareille mort ! Je passai dix minutes à me ressaisir puis me levai. J'allais en découdre avec lui.

Me levant paisiblement, je m'approchai de son corps, me mis face à lui et tirai mon pistolet de son étui. Je n'étais pas du genre à tirer sur quelqu'un d'endormi, mais il fallait que je lui fasse la surprise de mon pouvoir. Que je voie ses yeux s'écarquiller lorsqu'il prendrait une flèche explosive dans la cervelle. Au bout d'une vingtaine de secondes, il ouvrit les yeux, encore dans le potage. Je ne pris pas le temps de me présenter, inutile lorsqu'on sait que je ne le reverrai plus jamais. Je pris une grande inspiration, et lançai d'une voix ferme, mes yeux le transperçant avec haine et envie de vengeance :

« Toi ! Tu ne me connais sans doute pas, mais tu vas bientôt te souvenir de moi dans l'au-délà, car pour le meurtre de ce chien, je vais t'envoyer rejoindre tous ceux que tu as déjà tués ! Et je te conseille de ne pas me sous-estimer, gamin, parce que je suis là depuis bien plus longtemps que toi ... »