Alcinoas découvrait peu à peu les lieux. L’ambiance qui régnait ici avait de quoi mettre mal à l’aise ; mais jamais il ne se serait abaissé à l’avouer. Il marchait la tête toujours haute, narguant les forces supérieures qui sévissaient en maître en cet endroit. La bruine aidant, l’humidité ambiante rendait l’air glacé, et il ne croisa pour ainsi personne. Peut-être de loin, une ombre, une silhouette, trop éloignée pour voir si elle était vraiment humaine. Une odeur vint chatouiller ses narines. D’abord inconnue, puis plus les effluves s’accentuaient, plus l’odeur devenait reconnaissable : des corps en décomposition. Il se rappela alors les cadavres des prostituées entassés dans la cabane au fond de son jardin, suffisamment dissimulés du regard des curieux, mais laissés à l’air libre afin de donner place aux insectes et à leur bal mortuaire. Il chercha alors l’origine de l’odeur, et découvrit à deux mètres de lui, derrière un arbre, les restes de ce qui avait été un homme, couvert de larves blanches et noires. Alcinoas sourit à cette vision macabre, et continua son chemin.

Il avait traversé les diverses zones de ce parc. Il avait aperçu les divers dortoirs, qui le dégoûtaient à l’idée de dormir au milieu de la plèbe comparé au Dieu qu’il était, une tour qui semblait si haute que son l’idée de l’ascension l’épuisait, un cimetière, dont l’entretien semblait mis de côté. En y repensant, le cadavre de tout à l’heure n’avait pas eu droit à sa tombe ; à moins que ce ne soit un mort ayant déserté son tombeau… Alcinoas ricana. Comme si cela était possible !…

Sa longue marche à travers l’entendue de ce parc avait bien dû prendre une heure ou deux. S’il n’avait guère faim, en revanche, sa vessie commençait à le tirailler. Et comme il ne s’abaissait jamais à uriner dans la nature, il chercha des toilettes. Il parvint dans la Zone 4, où se trouvaient les commodités, ainsi que les cuisines et autres lieux de rencontre. Il parvint jusqu’à la porte des latrines, s’enquit du genre autorisé en ces lieux, et tenta d’ouvrir la porte. Cette dernière demeura close, malgré l’absence de verrou ou de serrure.


Quoi ! Une porte ose, devant moi rester close !
Jamais de ma vie je ne vis telle chose !
Sans serrure ni clef, elle daigne rester fermée,
Mais jamais un homme une porte ne put dégonder !
Devant cette menace, la porte sembla ployer et consentit à s’ouvrir, découvrant ainsi la salle d’aisance. Huit urinoirs en céramique blanche immaculée se tenaient là, prêt au service. Deux toilettes assises se tenaient cachées derrière des portes de bois. Un grand lavabo propre avec des distributeur de savon presque pleins était placé près de la porte. Des serviettes en papier étaient en libre-service près du lavabo. Le sol semblait propre, le carrelage brillant sentait presque encore l’eau de javel. Sentant l’appel de la nature, Alcinoas ne put continuer son expertise, se dirigea vers l’urinoir à l’extrême gauche, et commença son affaire. C’était une habitude de se mettre tout au bout de la rangée d’urinoir, si quelqu’un débarquait, il n’aurait ainsi pas besoin de se mettre à côté de lui ou du moins trop près. Mais qui pourrait bien débarquer ? Les lieux semblaient désert dix minutes plus tôt…

HRP:

WUT ?

J'aaaai maaaaaaaaaal !
Purée ça fait mal ! J'ai l'impression que ma vessie va exploser ! Ça fait déjà un quart d'heure que je cours à travers le parc en dézinguant chaque personne qui tente de me tuer ! Tiens, encore un. Un humain, ou un zombie, je ne sais pas trop. Mais le cimetière étant trop loin, je suppose que c'est plutôt un être humain qui commence à se décomposer.

« Graaaaah ! »
« Cause toujours, laisse moi passer ! »

Je fais apparaître mon arc avec une flèche explosive, vise et tire ! Sa tête saute, je ferme les yeux. Décidément, je ne suis pas encore bien habituée à la vue d'autant de sang. Je "range" mon arc dans ma besace dimensionnelle, et continue mon chemin, courant de plus belle. Pourquoi avais-je eu une telle envie d'aller aux toilettes, pile quand j'arrivais à l’extrême opposé des cabinets ?! La nature fait franchement mal les choses ...

Enfin, j'aperçois les toilettes. C'est petit, vu de dehors ... Mais ? Il n'y a qu'un bâtiment ? Peut être les toilettes sont elles séparées à l'intérieur, ou mixte ... bah, rien à fiche ! Y aura personne de toute façon ! Je ressors mon arc, vise le mur vers lequel je me rapproche dangereusement vite, et décoche une flèche empoisonnée ! Elle siffle une seconde avant de se ficher en haut du mur, lequel fond sous l'effet du poison qui coule le long de la façade. Une fois qu'un trou suffisamment grand est fait, prenant mon courage à deux mains, je range mon arc, ferme les yeux, et saute dans ce trou comme dans un cercle enflammé. J'atterris sur le carrelage et manque de me péter la figure en glissant dessus. Bon, il ne me manque plus qu'à trouver les waters et ...

« Hein ? »

Deux hommes. L'engin à l'air. Dafuq ?
Je reste là, bouche bée, les yeux grands ouverts, durant une minute, fixant tour à tour le visage d'un jeune homme à l'air efféminé et celui du démon dont j'ai entendu parler. Lui aussi est beau, mais il se dégage quelque chose d'étrange de lui, quelque chose de ... démoniaque. Pourquoi est-ce que je médite sur ça alors que je viens de voir deux hommes en train aux toilettes moi ?!

Je secoue la tête en fermant les yeux, gênées. Mes joues s'empourprent, mes pensées se bousculent, je flippe. Et pourtant, j'arrive à parler. Donc je ne suis pas amoureuse. Ouf. Haha. Est ce que je suis devenue folle parce que je viens de voir les engins de deux hommes ? Ou peut être est ce parce que je vais me faire dessus dans quelques secondes, allez savoir.

« Euh ... Je ... une seconde ! »

Un cabinet ! Il y a un cabinet là bas, au fond, avec une porte ! Je fonce dessus à toute allure, et une ou deux minutes plus tard, je ressors, mon immense satisfaction se lisant sur mon visage. Libérée, enfin, d'un si lourd poids ! Je n'ose pas me tourner vers les deux hommes, de peur qu'ils soient encore "occupés". Tandis que je me lave les mains dans le petit lavabo, dos aux deux inconnus, je commence à parler. C'est toujours mieux que risquer de se faire tuer. Parce que quand même, je suis de dos.

« Mhr ... je suis désolée d'être entrée comme ça, j'avais un besoin très très pressant. Enfin, voilà. Euh, je suppose que ce sont des cabinets mixtes. Enfin peut être. En fait, je ne sais pas. Mais on peut s'attendre à tout ici, n'est ce pas ? Haha .. Euh, bref. Je ne vous regarde pas hein. Je m'appelle Reby. Quels sont vos noms ? Pas que je sois intéressée hein, mais voilà. Histoire de. Si j'ai besoin d'aide je vous appelle. Haha ... »

Pathétique. Je suis vraiment pathétique.

C’était pour le moins pénible. Alcinoas était en train de soulager sa suprême vessie alors qu’un importun venait d’entrer. Ce n’était pas gênant, car notre homme n’avait aucune raison de douter de lui quant à la taille de ses attributs, et savait même que si jamais l’intrus daignait regarder à son endroit, la fierté quitterait à jamais ce voyeur. C’est donc en relevant la tête qu’il continua son affaire.
La semi-tranquillité de la scène fut très rapidement réduite à néant par la destruction inopinée de la porte. Et l’entrée d’une jeune femme aussi petite qu’une souris. Elle déboula comme ça, sans prévenir, sembla gênée l’espace de quelques secondes, puis sauta dans les toilettes fermées.
Une ou deux minutes passèrent. Était-ce sa suprême vessie qui était si grande ou l’envie terrible et sadique de rester et confronter cette pathétique créature qui le faisait durer si longtemps ? Toujours est-il que quand la jeune fille eut fini son affaire, les deux hommes était encore en train d’uriner, et l’un deux avait un petit sourire sadique qui commençait à se dessiner sur ses lèvres.
Elle fit un petit laïus sur le fait que les toilettes lui semblaient mixtes, et indiqua son nom ; Reby. Elle était pathétique, cette petite souris. Mais Alcinoas n’avait jamais rien eu à craindre des souris ; au pire, il avait toujours de la mort au rat.
La scène semblait toutefois gênante dans le sens où la bienséance voulait qu’on réponde au moins à ses paroles. Et Alcinoas, dans son cas, était toujours en train de vider son imposante vessie dans l’urinoir. Il se dépêcha néanmoins de finir, remballa son engin pour se tourner vers les lavabos et enfin rebondir sur les paroles de Reby.


Enchanté, chère Reby. Je suis Alcinoas.
Et bien que votre entrée ici manque de classe,
Je daigne accepter vos excuses les plus sincères.
Pardonnez cependant que nulle main je ne serre.

Pour appuyer ses dires, il gratifia la jeune femme d’un sourire enjôleur, puis ouvrit les robinets pour se nettoyer longuement les mains. Puis il s’empara d’une serviette en papier et s’essuya les paumes. Puis il la jeta dans la poubelle.


Je dois avouer être content de vous voir ;
Venant d’arriver par le carrosse du soir,
Je n’avais encore rencontré âme qui vive.
Et l’idée que l’endroit soit désert fut hâtive.

Cette fois il tendit la main droite vers la jeune fille plantée là au milieu de la pièce. Son sourire se fit très chaleureux, et son regard sembla d’un coup très candide ; comme celui d’un enfant perdu dans un centre commercial bondé à la recherche de sa mère. Mais il n’en était rien ; Alcinoas n’était pas candide, il n’était pas chaleureux non plus. Et la recherche de sa mère n’avait jamais eu lieu, car s’il avait à la chercher, il savait qu’elle reposait au fond d’une tombe, contrairement aux nombreuses victimes futures de son meurtrier. Le poids de la sacoche violette pendant à son côté lui rappelait toujours qu’il avait quelque chose sur laquelle compter, et le rassurait et l’entraîner plus encore dans son jeu machiavélique. N’était-il pas en train de jouer à la meilleure et la plus stimulante des parties de jeu de rôle auxquelles il avait pu participer ?

UP. C'est à Reby de répondre.